Quand on débute, décrocher un featuring peut sembler être la porte d'entrée rêvée : visibilité, crédibilité, parfois un accès à une fanbase plus large. Mais derrière l’excitation, il y a un contrat — ou au minimum un accord — et c’est souvent là que beaucoup d’artistes émergents se font damer le pion. J’ai vu et vécu des collaborations qui ont propulsé des carrières, et d’autres qui ont laissé des frustrations durables. Voici comment, selon moi, négocier intelligemment un contrat de featuring quand on débute.
Définir ce que vaut vraiment le featuring
Avant d’entrer dans les termes juridiques, il faut avoir une intuition claire de ce que le featuring vous apporte et de ce que vous apportez. Posez-vous ces questions :
- Est‑ce que l’artiste invité a une fanbase active qui pourrait traduire en streams, shows ou abonnements ?
- Apportez‑vous un texte, un flow ou une couleur artistique qui change complètement le morceau ?
- Qui gère la promotion : l’artiste principal, son label, ou vous ?
Votre pouvoir de négociation dépendra de la réponse. Si l’invité est clairement la tête d’affiche, attendez‑vous à partager plus de visibilité que de revenus. Si c’est vous qui apportez l’élément unique, exigez des conditions plus protectrices.
Les éléments essentiels à négocier
Un contrat de featuring n’est pas qu’une signature et une date d’enregistrement. Voici les points que je vérifie systématiquement :
- Crédits : comment votre nom apparaîtra‑t‑il (feat., with, interprète invité) ? Sur les plateformes et sur la pochette, c’est capital pour la traçabilité.
- Redevances : qui touche quoi ? Définissez clairement la répartition des droits d’auteur, des masters et des revenus numériques.
- Droits voisins et master : qui possède le master ? Si l’artiste principal ou le label détient le master, demandez une rémunération adaptée et la possibilité d’un pourcentage sur les ventes/streams.
- Utilisation : combien de temps et dans quels territoires la chanson peut‑elle être exploitée ?
- Exploitation commerciale : autorisation pour synchro (pub, séries), compilations, remixes — et la part que vous touchez en cas d’exploitation commerciale.
- Durée : période d’exclusivité éventuelle — évitez de vous bloquer trop longtemps.
- Promotion et obligations : qui fait quoi ? Combien de posts, participation à clips, interviews, concerts ? Clarifier l’investissement de chacun évite les incompréhensions.
- Advance / paiement : en tant qu’émergent, demander un cachet peut être délicat, mais pas impossible. Négociez au moins la prise en charge de frais (studio, logement, transport) si l’invité vient de loin.
Comprendre les différents types d’accords
Dans la pratique, j’ai rencontré principalement trois formats :
- Featuring gratuit mais promotionnel : souvent utilisé entre artistes amis ou pour des projets DIY. Ici, exigez des crédits clairs et un plan de promo écrit.
- Paiement unique (cachet) : l’artiste reçoit un paiement forfaitaire pour sa prestation, sans part sur les droits. C’est simple mais moins favorable à long terme si le titre cartonne.
- Split des revenus : répartition des droits d’auteur et/ou des revenus masters. C’est le plus équitable quand la contribution est significative.
Répartition pratique : exemples
Pour vous donner des repères, voici un tableau récapitulatif des splits que j’ai vus en pratique — ce ne sont pas des règles absolues mais des points de départ pour la négociation.
| Situation | Split auteur/compositeur | Split master (vente/stream) |
|---|---|---|
| Feature cameo (couplet court) | 5–15% selon contribution | 0–10% si paiement forfaitaire |
| Feature co‑créatif (couplet important) | 15–30% | 10–30% selon notoriété |
| Collaboration 50/50 (duo) | 50/50 | 50/50 |
Clauses auxquelles il faut être attentif
Lis tous les points suivants dans le contrat ou dans l’accord écrit :
- Clause de réversion : que se passe‑t‑il si le morceau n’est jamais sorti ?
- Clause de crédit : format exact du crédit et mentions obligatoires sur toutes les plateformes.
- Autorisation de sampling : si votre partie utilise un sample, qui est responsable des clears ?
- Clause de retrait : conditions pour retirer le morceau des plateformes.
- Garantie d’absence de conflit : l’autre partie garantit qu’elle a le droit d’utiliser vos contributions.
- Modalités de paiement : délais, échéances, preuves de paiement.
Astuce pratique : obtenir un accord écrit simple
Souvent, on négocie autour d’un message vocal ou d’un mail. C’est valable, mais je recommande de formaliser via un simple contrat ou un "memorandum of understanding" (MOU). Un modèle basique doit contenir :
- Les noms légaux des parties
- La description précise de la contribution (durée, couplet, refrain)
- La répartition financière
- Les obligations promotionnelles
- Signature ou accord explicite par email
Vous pouvez trouver des modèles en ligne (SACEM, syndicats d’artistes) ou demander l’aide d’un manager ou d’un avocat spécialisé pour vérifier les points sensibles.
Quand demander un cachet plutôt qu’un split
Si vous êtes payé en cachet, clarifiez : est‑ce contre cession totale des droits sur votre performance ? Si oui, exigez un montant en conséquence et, si possible, une clause dite de "bonus" si le morceau dépasse certains paliers de streams. Pour un artiste émergent, un cachet peut être intéressant pour couvrir les frais immédiats, mais attention à renoncer aux revenus futurs si le morceau explose.
La promo et le contrôle artistique
Ne sous‑estimez pas la promo. Demandez un plan de publication, qui gère la sortie (distribution, mise en playlist, clip), et un calendrier. Insistez pour avoir des visuels et la possibilité de réutiliser le contenu pour votre propre communication. Gardez aussi un minimum de contrôle artistique : si on veut changer vos paroles ou votre flow, cela doit être soumis à votre approbation.
Mes conseils personnels
- Négociez à l’avance, pas après le succès. Beaucoup de disputes viennent de promesses orales non formalisées.
- Faites preuve de flexibilité, mais sachez poser vos limites : crédit, droits et compensation ne sont pas des détails.
- Sachez dire non. Un featuring mal payé ou qui vous enferme peut nuire à votre trajectoire.
- Apprenez les bases des droits (auteur/compositeur vs master). Comprendre ces notions vous évitera d’être exploitée.
- Entourez‑vous : un manager, un beatmaker ou un avocat peuvent souvent faire gagner du temps et éviter des erreurs coûteuses.
Si vous voulez, je peux vous fournir un modèle d’email pour proposer un featuring, ou un exemple de clause à insérer dans un accord. Sur Rap Actu, on parle souvent de musique, mais aussi d’empowerment : savoir négocier, c’est protéger sa parole et sa carrière.